Explication de contexte. Je suis allée à Iqaluit au Canada dans le cadre de mon travail d’ingénieur navigant d’essai. C’est un métier peu connu, j’ai essayé de donner une idée de ce que c’était dans le récit du voyage sicilien: Le récit de la campagne d’essai en Sicile peut donc être une lecture préalable intéressante avant de lire ces essais canadiens…
Pourquoi aller en terre de Baffin en plein hiver, avec un avion de quelques centaines de tonnes encore à l’état de prototype?
« Mais c’est où Iqaluit? »
C’est là: sur la terre de Baffin, au nord de la baie de l’Hudson.
63° Nord, on pourrait penser que ce n’est pas si nordique que ça.
Oui, je viens de regarder le 31 Mars 2017, c’est le printemps! il y fait -24°C…
En résumé, avant qu’un avion ne soit autorisé à transporter des passagers, il doit démontrer à l’organisme de certification un certain niveau de sécurité: cela s’appelle la certification. Avant la délivrance du document final de certification, l’avion est en développement et qualifié de prototype. En particulier, pour pouvoir opérer au Canada, il doit faire des essais temps froid en environnement réel. On doit démontrer le bon fonctionnement de l’avion et ses systèmes à une température extérieure maximale de -36°C. Pour ma part, je suis ingénieur Navigant d’essai (voir quelques explications dans le récit « essais en Sicile ») et à l’époque je travaillais dans la certification. J’ai donc participé à la campagnes dite « temps froid » de l’Airbus A340-600 à Iqualuit en 2002.
Je mets là quelques souvenirs personnels de cette campagne d’essais très particulière.
D’abord le départ. Avant de partir il faut s’assurer que la température sera inférieure aux fameux -36°C. Si le thermomètre ne descend pas en dessous de -35°C, nous aura fait le voyage pour rien.
En conséquence, plusieurs destinations sont possibles et la date est flexible.
Dans le cas présent, nous irons a Iqualuit ou a Churchill, mais parfois, cela se passe en Russie. Il faut un minimum d’infrastructure sur place (assistance, taille de la piste d’atterrissage, équipements de maintenance, outillage…) et le reste (c’est à dire presque tout) est emmené à bord de l’avion (on a de la chance l’A340-600 est grand, mais il faut faire la même chose avec des avions plus petits comme l’A318)
Pour ce qui est de la date, comme d’habitude, on prend les consignes chaque jour pour le lendemain, nous sommes d’une certaine façon de permanence. La date est repoussée plusieurs fois, puis avancée, puis repoussée… Selon le calendrier initial, c’est ma maman qui vient de Paris pour s’occuper de Pierre (8 ans) et Marie (6 ans) . Je lui ai acheté acheté un Paris-Toulouse , pour rien… avec le nouveau calendrier, rien ne va plus. Me voilà à jongler tous les jours avec la nounou qui devra s’occuper des enfants en service de jour comme en service de nuit (oui, je pars demain…. non, finalement, ce sera après demain…oui c’est pour 5 jours…). Il faut bien accepter les contraintes de la maternité!
Ca y est, nous partons de Toulouse.
L’avion s’envole vers le grand nord canadien emportant avec lui des tas de pièces mécaniques, outils, ingénieurs, mécanos, responsable des opérations, pilotes (évidemment), ingénieurs navigants et mécano nav.
A l’approche d’Iqualuit double briefing:
Le chef de campagne Wolfgang explique la teneur de l’ensemble des tests qui doivent être faits (moteurs, moteur auxiliaire, avioniques, systèmes hydrauliques, systèmes de freins, système électrique, circuit d’eau, conditionnement d’air, ….)
Le médecin de la campagne nous met tout de suite dans l’ambiance. Les consignes sont données sur l’habillement (pas un bout de peau ne doit sortir, les différentes couches de textile à mettre, zut: lentilles de contact interdites car elles gèleraient sur la cornée, ne pas se laver ou presque car la peau génère naturellement une couche protectrice: c’est du propre!), la température qui nous attend : -39° mais avec le vent cela équivaut physiologiquement à -68°C… dans l’assistance ça jette … un froid, le temps passé dehors doit être limité entre 5 et 10 minutes selon la température. Ne jamais sortir seul. Faire attention à certains symptômes… Je ne me souviens pas de tout ce qui fut dit, mais ce dont je me rappelle c’est que nous nous demandions bien vers quoi nous allions.
Nous arrivons vers 16h00 locales et à ma surprise, il fait jour, le ciel est tout bleu.
On voit Iqualuit: elle n’est pas bien grosse
Dans l’avion, les pilotes débriefent du vol et parlent de la suite. Derrière chacun se prépare à sa tâche. Je m’habille et me prépare à sortir: Wolfgang souhaite que j’aille attester avec lui de l’état de quelques sondes extérieures.
A l’extérieur, l’assistance au sol, met en place l’escalier, une dame du service de l’immigration monte l’escalier et attend paisiblement dehors sur l’escalier qu’on lui ouvre la porte de l’avion.
Je regarde par le hublot: ca doit faire 5 minutes qu’elle est là, elle n’a pas de couvre chef, le col de la parka est grand ouvert, une petite paire de lunettes de soleil, le vent la décoiffe et s’engouffre dans son col . Elle ne semble absolument pas souffrir du froid.
Evidemment, j’en déduis, que cette histoire de froid est quelque peu exagérée. J’ai mes gants, les bottes, le pantalon, la veste, le bonnet… Je laisse le masque de ski dans la poche au cas où. Je suis impatiente d’en découdre, de sortir et d’aller voir ces quelques sondes de rien du tout.
La porte s’ouvre, la fonctionnaire canadienne entre pendant que je m’engouffre avec Wolfgang sur la plateforme et descends tout de go l’escalier.
Bon, faut reconnaitre que la première bouffée d’air est rafraichissante…
la deuxième aussi, à la troisieme, nous nous regardons avec Wolfgang: qu’est-ce qu’il fait froid!!!!! Comment fait la dame? Elle a un truc?
Bon, maintenant que nous sommes dehors, on décide d’aller regarde ces sondes, il doit y en avoir pour 5 minutes maximum. On ne va se dégonfler hein?

Mais là, piteusement, après moins d’1 minute d’exposition, frigorifiée, je remonte lâchement dans l’avion me couvrir de la tête au pied, et sur ce coup là, je ne négligerai plus rien. Masque de ski, masque néoprène, cagoule, bonnet, capuche, triple couche, sous gants, gants, doubles paire de chaussettes… Je ressemble désormais à un mutant placé entre le bonhomme Michelin et l’astronaute. Je redescends, la buée de ma propre respiration se fixe sur mon masque et gèle immédiatement… la moindre expiration et je n’y vois plus rien pas pratique. Me voilà doublement handicapée car mes lunettes de vues, à l’intérieur du masque de ski se couvrent également de givre des deux cotés, du simple fait de la vapeur dégagée par mon visage et je n’y vois plus rien. Maintenant, après avoir gratté ls deux faces de mes lunettes et mon masque, je travaille en apnée… toutes les 30 secondes, je lève vite fait mon masque en fermant les yeux (la cornée gèle…) pour expirer… ça promet…

dégrivrage des ailes de l’avion avant chaque départ
Le 1er jour sur place se passe et les tests avec. On s’adapte un peu au froid. Les conditions sont quelques peu rustiques.
Les tests se font tant bien que mal. Je découvre les opérations par temps froid, si différentes de ce que j’en connais sous des latitudes plus usuelles…
pour mettre en oeuvre le moteur, il faut le chauffer: Cela est fait en mettant en oeuvre ce que j’ai fini par appeler des « seches cheveux geants »
qui soufflent de l’air chaud sur le moteur pendant… suffisamment de temps (1 heure peut être?)
Il n’est pas aisé de decrire comment par – 40°C, le froid est …froid.
Voyez vous la différence entre 20 degres au printemps et 0 degres en hiver? Eh bien, imaginez qu’a partir de ces 0 degres d’hiver vous descendez encore de 20 degres, puis, encore une fois, vous perdez 20 degres avec chaque fois, cette même difference qu’entre notre été et notre hiver. On pourrait penser que -20, -30 ou – 40 c’est pareil, ce n’est pas vrai, chaque degré se sent.
A -20°C, à chaque inspiration, on sent un peu de givre à l’intérieur des narines.
A -30°C, un bout de peau dehors et on a l’impression que ça brûle.
A -40°C… quand en plus il y a du vent… Par exemple, dans les jeux d’enfants que nous avons lancés, nous avons mis une bouteille d’eau minérale de 50cl dehors, juste pour voir en combien de temps l’eau dans la bouteille gèlerait… Dites un chiffre voir… Moins de 30 secondes. Nos congélateurs sont des petits rigolos à coté.
Tant qu’à raconter des anecdotes: j’ai vu un inuit pêcher, comme dans les dessins animés: si, si, il avait fait un trou dans la glace et avait péché un poisson, bien vivant: le pêcheur a décroché le poisson et l’a mis dans la remorque accrochée à son motoneige (bon, à la différence des dessins animés, ceux que j’ai vu ne font plus ça en traineau à chiens) et vous l’avez deviné, le poisson frétillé d’un seul coup de queue puis s’est immobilisé, gelé…
Ce n’est pas tout: Ensuite, le pêcheur est rentré chez lui, et devinez ce qu’il a fait? Il a mis le poisson …dans le frigo!!! pour qu’il dégèle sans doute, ah ah ah! Je me demande s’ils ont des congélateurs dans leurs maisons…
Oui, c’est un autre monde.
La vue de l’avion dans cet environnement hostile témoigne de cet univers atypique.

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