Le test du circuit d’eau

Dans l’avion, quand vous allez aux toilettes cela vous semble d’une banalité affligeante, pourtant, vous ne soupçonnez pas les efforts qui ont été déployés pour que vous puissiez prendre vos aises.

Je m’explique:

D’abord, pour tirer la chasse d’eau, il faut… de l’eau.

Et l’eau, elle passe par… des tuyaux.

Et les tuyaux, ils passent par… la soute.

Et quand on ouvre la soute pour charger et décharger des bagages, la soute se met à la température… extérieure, soit -36 degre ou moins. En conséquence, les tuyaux risquent de geler et le canalisations de se fissurer.

Je vois que vous commencez à deviner de quoi relèvent les essais:

La règlementation Canadienne exige que l’on laisse les portes cargo ouvertes pendant 45 minutes ce qui simule un chargement et déchargement complet des bagages et du frêt.

Au terme de ces 45 minutes, on utilise normalement  le circuit d’eau en ouvrant les robinets et en tirant les chasses d’eau et on vérifie au passage que l’eau n’a pas gelé… Ca c’est un test relevant de la haute technologie aerospatiale, non?

Je ne vous dis pas quand vous racontez à vos amis que vous partez au pôle nord pour tester des WC, ca fait vraiment classe…

Vous revenez, on vous demande ce que vous avez fait et vous repondez: « des essais de chiottes » …

 

Et pourtant ce fut une mélange d’humour et d’aventure…

1ère étape: Il faut remplir le réservoir d’eau de l’avion. Pour une petite bête comme ça, il fallait mettre au minimum 1500 litres d’eau (vous ne croyez pas tout de même que 400 passagers vont se contenter d’une bouteille d’évian, non? Et encore cela ne représente qu’une petite partie du reservoir, mais pour les essais, on a estimé que cela serait suffisament démonstratif).

Evidemment, le tuyau d’arrosage qui vient du hangar n’est pas assez long… pfff, de toute façon ça ne marcherait pas puisque l’eau serait gelée avant d’arriver.

Donc, plus sérieusement, l’aéroport dispose d’un réservoir transportable (de 500 litres…) sur remorque, doté d’une petite pompe qui permet de monter l’eau dans le réservoir de l’avion;

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1ère difficulté, trouver cette remorque. Après une journée infructueuse, ponctuee de promesses non tenues, personne ne vient avec cette fameuse remorque. Donc le lendemain, je m’y colle,  un peu de lobbying auprès du controleur aerien, il se dit que mon sourire n’égale que ma patience. Il a compris que je ne le lacherai pas tant qu’on aura pas d’eau (ce en quoi il a raison, ca fait quand meme 24 heure qu’on l’attend cette eau). Il pose son micro, de toute facon, il n’y a aucun avion en l’air dans le secteur. On finit par faire le tour des hangars en petit tracteur, moi habillee en astronaute, lui en petite laine et bonnet de skieur, et on ramène cette fameuse remorque.

 

Le camion qui sert à faire des allers-retours au hangar avec la réserve d’eau
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Il a suffit de le laisser 15 minutes dehors pour qu’il soit ainsi
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2 eme difficulté: les raccords sont standards, il faut les connecter sur les prises d’arrivée d’eau de l’avion. Le problème c’est que les raccords gèlent, (ca c’est la physique : des raccords qui servent à transferer de l’eau, ont une tendance à être humides et par -38…)

Enervement du technicien allemand responsable de l’essai: « ce fichu raccord il va rentrer, oui ou non?!! » (enfin, je crois que c’est ce qu’il a dit, parce que c’était dans un moment d’énervement et il l’a dit dans sa langue maternelle allemande. Au ton du monsieur, ca devait vouloir dire ça avec quelques mots a censurer). Il commence à avoir froid à attendre dehors (on a dépassé les 10 minutes d’exposition depuis un moment). Les raccords du reservoir sol seront dégivrés en les mettant au chaud dans le blouson (je ne vous décris pas le confort dudit blouson une fois mouille). Les raccords de l’avion sont grattés, frottés ce qui n’a l’air de rien dit comme ca, fait il faut imaginer qu’on travaille en apnée, que dès qu’on respire, nos masques de skis se couvrent de givre, qu’on est emmitoufles a ne plus pouvoir bouger. Donc, arrive la solution quand on s’énerve: le technicien ôte ses gants et applique ses mains sur le racord qui doit etre a -38, supporte stoiquement la chose et tente de raccorder. Zut, seule la partie inferieure rentre. Son collegue prend la releve car de toute facon les mains du premier doivent etre si froides qu’ells doivent etre proches des engelures. Le deuxieme compere s’y met :« Das is gut! » et parvient finalement a rentrer ce fichu raccord.

 

Maintenant, y a plus qu’a mettre la pompe de relevage en marche. Le demarreur est un peu faiblard, toussote un peu mais ne demarre pas, un, deux , trois essais, la batterie est morte. « Comment fait-on » demande-mon petit allemand au canadien de service qui lui repond à l’africaine « ben faut recharger, y en a pour 2 ou 3 heures » Evidemment, dans 2 ou 3 heures, il fera nuit, y aura plus personne pour le reste de l’essai. Je sens mon petit allemand quelque peu exasperé « das es nicht gut », il aurait bien envie de taper sur la pompe. Lui qui pensait que son petit essai de WC durerait deux ou trois heures ca fait 24 heures qu’il y est et il n’a rien fait du tout, même pas mis un litre d’eau et on est tous congelés voire mouillés-givrés. Ah ca, il est venu au bout du monde tester ce joli circuit d’eau défini par son bureau d’étude en Allemagne, il remplira sa mission. On réflechit tous, Mac Gyver est un amateur à cote de tous ces cerveaux en action: la solution, c’est les bouteilles d’air comprimé!

Ca ressemble à des bouteilles de plongée en plus grand (disons 60 litres d’air comprimé, et avec un jeu de raccord qui permettent de gonfler les pneus d’avion (je comprends par la même occasion que pour gonfler les pneus d’avion, il y a un compresseur dans le hangar qui permet de remplir les bouteilles, et ensuite on amène les bouteilles que l’on raccorde aux pneus pour les gonfler: ça c’est rustique!).

Là, on va brancher la bouteille sur le réservoir, ca va mettre la pression dans le réservoir et l’eau, sous l’effet de la pression va monter dans l’avion.

 

 

 

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Aussitot dit, pas aussitot fait, car avec des gestes maladroits la bouteille est finalement  raccordée au réservoir (pff, les 5 minutes de temps limite d’exposition, elles sont vraiment aux oubliettes).

Allez, on est tous prêts, on va ouvrir la pression. Je souris intérieurement, on a l’impression qu’on assiste au décollage d’une navette spatiale ayant requis des années d’efforts alors qu’il ne s’agit que de remplir un gros réservoir d’eau.

« GO », il tourne le robinet

« BOUM », on entend et on voit en même temps un objet noir bondir furieusement tel une balle de fusil du réservoir, on s’est tous jetés par terre dans un geste reflexe en se demandant, « il a pas explose notre réservoir quand même? »

Nan, il a pas explosé, c’est juste que les pas de vis du bouchon en plastique du réservoir n’ont pas tenu les 30 bars… en partant, le bouchon a bien abime les pas de vis qui le retenaient.

Petit silence, un ange passe, que fait-on maintenant?

Bon on ré-essaye en ouvrant moins fort le robinet et il y en a un qui appuiera sur le bouchon en même temps pour l’aider a tenir.

D’abord, on va faire une pause et se mettre au chaud dans l’avion, mais pas trop longtemps, à bord, l’équipage s’impatiente et attend la fin du test pour pouvoir partir faire des essais en vol. Mon petit allemand se fait une raison, il se contentera de 500 litres d’eau au lieu des 1500 litres cela permettra de se contenter d’un seul ravitaillement d’eau: incroyable, un allemand qui ne respecte pas la procédure de test! C’est fou ce que le froid a comme pouvoir de persuasion !

C’est donc reparti, on se relaye au bouchon, l’eau monte doucement a bord de l’avion, l’équipage a bord nous transmet par radio le volume d’eau du réservoir avion 50 litres, 60, 70… c’est long, 150… le bouchon saute, on ferme le robinet, on le remet le bouchon, on rouvre le robinet, le grattage de nos masques de skis et nos lunettes sonne comme une ponctuation, 180, 190…200, 210…. Ca n’en finit pas… 410 litres et s’arrête… Surprise…Was ist das ? La bouteille d’air est vide… pfff, en rechercher une autre reprendrait encore un temps précieux, nos pilotes s’impatientent et mon petit allemand cède sur la pression (pas celle de l’eau): «  Je me contenterai de ce qu’on a ». On souffle, on a l’impression d’avoir gravit l’Everest. On debranche notre bazar, prend un peu de recul par rapport a l’avion et on demande au personnel bord de mettre en service le circuit d’eau.

Il fait froid, je regarde l’avion : un beau filet d’eau s’echappe du fuselage, coule sur le sol où il gèle immediatement. Bon, je tapote gentillement sur l’épaule de mon petit allemand, je lui pose calmement une question « tu vois ce que je vois ? ».

On est tous silencieux, car on a tous compris.

Pas besoin de dessin, on a reperdu toute l’eau que nous avions montée…

Il y a une fuite dans le circuit, il va falloir la trouver avant demain, la réparer et refaire le test.

En attendant, l’avion s’éloigne et va faire ses tests en vol.

Nos petits allemands partent se réchauffer. Leur nuit sera longue : des que l’avion sera de retour, ils devront fouiller la soute, glaciale et peu accessible, longer tous les tuyaux pour trouver la fuite. Plusieurs heures de recherches et d’effort pour trouver le coude qui a laché.

Ach so… Ce coude n’aurait pas du lacher, on a pas la pièce de rechange…

S’en suit au matin une communication telephonique satellite digne d’un sketch de Gad Elmaleh: l’allemand d’Iqaluit explique a son collegue  en Allemagne ou se trouve la fuite.

A l’autre bout du monde, l’ingenieur lui repond que, nein, ce n’est pas possible, le technicien lui dit que si, la fuite est nette, l’ingenieur lui répète dossier a l’appui que ce n’est pas possible, « mais si ! » insiste le technicien au bord de la crise de nerf, «  je te dis que j’etais devant le tuyau et  il a explose, j’y ai passe des heures a ramper, je suis congele, mais j’en suis sur ». « nein, nein, nein, ce n’est pas vrai… » Joli dialogue de sourds. C’est comme si, par impuissance, on attendait une solution miracle venue de la maison à l’autre bout du monde, mode civilisé. Il faut se résoudre à l’évidence, on peut bien dire «  Houston on a un problème », on a pas d’autre solution que se débrouiller avec les moyens locaux.

Finalement, mes courageux collègues montent une petite expédition au Mr bricolage du coin, et apres avoir farfouille dans les quelques rayonnages, ils reviennent avec des bouts de tuyau d’arrosage, du scotch étanche, des raccords de jardinage… que c’est beau la technologie… un avion de plusieurs centaines de milliers d’euros… 

 

Finalement, les réparations de fortunes marcheront, on repartira pour une operation remplissage, l’essai du circuit d’eau aura lieu et sera concluant. Les resultats de la campagne permettront de corriger certains points de conception. De sorte qu’aujourd’hui, chers lecteurs, vous pouvez prendre vos aises dans l’avion même par moins 40 dehors !
C’est pas beau ca?

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