Par Thien An
Quand nous rencontrons de nouveaux amis sur le bateau (ou à terre) on finit souvent par me demander:
– que fais tu dans la vie ?
– euh, je suis ingénieur
– dans quel domaine ?
– en aéronautique
– mais c’est quoi ton travail exactement ?
– euh, je fais des essais en vol
– tu montes dans les avions ?
– oui
– tu pilotes ?
– non
Là, je constate que mes interlocuteurs se demandent à quoi je sers si je ne suis pas pilote. En fait, il m’est difficile d’expliquer, oui bien sûr que je sers à quelque chose (enfin quoi!). D’ailleurs les astronautes ne sont pas tous pilotes de navette spatiale, pourtant, ils servent bien à quelque chose, non? … Bon, comment expliquer en quoi consiste mon travail, inconnu du grand public? Aux voileux, j’explique que c’est un peu comme en régate, le barreur c’est le pilote, le tacticien c’est l’ingénieur et on travaille en équipe… Mais il est vrai que l’explication est un peu légère.
Alors j’ai écrit ce récit, pour décrire un peu ce que peut être mon travail au travers d’une campagne d’essai. Peut-être qu’au passage, cela donnera à des jeunes l’envie de faire un très beau métier. Un métier de passionné.
J’ai une formation d’ingénieur en aéronautique. Après mon école d’ingénieur, je suis entrée au CEV, Centre d’Essais en Vol, là-bas j’ai eu la chance d’être envoyée en formation à l’EPNER, école des personnels navigants essais et réception: la Mecque des essais en vol (faire une recherche google « EPNER »): un vieux rêve qui se réalisait!
Actuellement, je suis spécialisée dans les essais de ravitaillement en vol.
Le ravitaillement c’est quand un avion, le ravitailleur, donne du carburant à un autre, le ravitaillé.
Historiquement, le 1er ravitaillement en vol a été fait à « la main »
Ces gens là n’étaient pas que des aventuriers, ni que des passionnés… ils étaient probablement un peu fous!
Depuis, on a fait beaucoup de progrès…
Il n’en demeure pas moins que même aujourd’hui, c’est une mission délicate: faire voler 2 avions tellement près qu’ils se touchent en vol, à 7000 mètres d’altitude à une vitesse de 250 noeuds ou Mach 0.8, (soit 500 km/h) ce n’est jamais anodin.
Il arrive donc qu’on nous demande s’il est possible que 2 types d’avions donnés puissent ravitailler ensemble. On doit alors analyser les données, prévoir des essais, certains au sol, d’autres en vol, déterminer si l’opération est possible et à quelles conditions (vitesse, altitude, masse, centrages) . Ceci permet de définir pour les usagers (équipages des armées) le « mode d’emploi », ce qu’on peut faire (procédures) ou pas (limitations).
Evidemment, s’il y a des limitations à ne pas dépasser c’est qu’au-delà, ça pourrait mal se passer et c’est à nous, équipe d’essai qu’il revient de déterminer les limitations limites (que dans le jargo nous appelons les limitations de vol) et donc parfois d’aller dans ces des zones inconnues… voire dangeureuses. Quand je vous dis que j’aime découvrir…
Lorsque nous faisons des essais avec des configurations qui n’ont jamais volé (en l’occurrence un couple ravitailleur-Ravitaillé) , on appelle celà une ouverture de domaine. Il y a bien entendu des risques que nous devons maitriser au mieux. C’est pour celà que nous avons été formés à l’EPNER, et nous continuons à nous améliorer tout au long de notre carrière.
Nous voilà donc parti en Sicile.
quand le travail devient lui aussi,
une source de voyage
et de découvertes…
Avril 2015, Laurent, également ingénieur d’essais, rentre dans mon bureau.
« Dis, t’es dispo dans 15 jours? On a la campagne d’essais pour l’OTAN qui se déclenche, il faut faire la clearance AWACS – KC 767. (Note : un AWACS est un avion d’observation truffé de radars et d’électronique, il est aisément reconnaissable par l’antenne qui ressemble à un bonbon smarties perchée sur son dos. Cet avion surveille le ciel français. Un KC767 est un boeing 767 modifié pour pouvoir être ravitailleur)
L’idée c’est de chercher l’AWACS en Allemagne, nous en profiterons pour faire un vol d’entrainement derrière un C135 (Note : un C135 est un avion ravitailleur, un boeing 707 modifié) car ça fait longtemps qu’Antony (pilote d’essais) n’a pas fait de ravitaillement depuis un AWACS et celui de l’OTAN nous ne le connaissons pas très bien, sa motorisation est différente de l’AWACS français, ce serait donc de l’ouverture de domaine.
Ensuite, nous irons avec l’AWACS vers Rome où l’équipe d’essais italienne nous attendra avec le KC767: on briefera la campagne à Rome, je resterai en Italie et je ferai les vols dans le KC767 qui restera basé à Rome, toi tu iras avec Antony vers Trapani en Sicile sur la base OTAN.
Ensuite nous coordonnerons par téléphone les vols et tu feras la conduite d’essai de l’AWACS pendant que je ferai celle du KC767 »
Ben, voyons ! Ca ne se refuse pas ça ! Nous avions déjà fait la campagne KC 767-AWACS français il y a 6 mois… C’est là d’ailleurs que l’OTAN nous avait repérés. Nos méthodes de travail, les résultats leur avaient plu et ils font appel à nous pour leur problème.
Tant pis pour mon « aéro Corse » prévu dans 3 semaines…
Arrivée en Allemagne à 1h00 du matin, courte nuit jusqu’à 7h00… nous devons briefer avec l’équipage OTAN… C’est parti !